En enfer si j’y suis – les premiers chapitres

Elle ira jusqu’en enfer s’il le faut. 

Après avoir semé la zizanie sur le Strip, Mona doit faire profil bas si elle veut obtenir son permis de chasser les monstres et pouvoir enfin exercer son métier. Embauchée pour des travaux d’intérêt général à la douane paranormale de Las Vegas, elle remarque des anomalies inquiétantes. Une stagiaire s’est volatilisée et la magie fuit dans les souterrains de la ville. Mona décide de prendre les choses en main… et ne parvient qu’à se brouiller définitivement avec l’administration surnaturelle.

Pour pouvoir continuer son enquête, elle accepte une mission louche auprès d’Elsie Hannigan, puissante sorcière clandestine. Elsie se cache avec Seb Persson, son corbeau favori, à Vegas Underground, la ville infernale sous Vegas. Là, Mona espère retrouver la stagiaire disparue. Et le moyen, peut-être, de libérer enfin Seb de l’influence d’Elsie. Mais s’aventurer dans cette zone de non-droit où les vies et les âmes s’achètent et se consomment n’était peut-être pas la meilleure idée du monde.

Une fois n’est pas coutume, Mona Harker s’est choisi un job un peu trop gros pour elle — à peu près dix mille fois trop gros.

En enfer si j’y suis est la suite d’Un pour taper sur l’autre, et le deuxième tome des aventures de Mona Harker à Vegas Paranormal. Il paraîtra le 7 mai et est déjà disponible en précommande.

Chapitre 1

C’est mardi matin, j’ai même pas eu mon café, je suis en retard pour mon rendez-vous avec ma contrôleuse judiciaire et j’ai pas du tout le temps de me battre contre cette horde de zombis lyophilisés. 

Sérieux. C’est quoi ce nouveau délire ?

Je viens d’ouvrir la porte de mon bunker pour dire bonjour à la lumière du désert, pas encore réveillée mais déjà en pétard, et ils étaient là. Au moins une bonne douzaine de geeks caramélisés, à m’attendre en plein cagnard tout en mastiquant dans le vide comme des idiots.

Je vous jure, à les regarder comme ça, on ne croirait pas que ces gars sont en symbiose avec une bactérie hyper intelligente qui est censée collaborer avec eux pour faire d’eux des génies. 

Avec un grognement affligé, je décroche mon téléphone au moment où un mort-vivant tout ratatiné par le soleil se jette sur moi. Je l’évite tout en refermant du pied la lourde porte blindée, et cet abruti se coince dans l’ouverture entrebâillée. Il craque comme un os de poulet trop cuit, sectionné par le battant. Les deux jambes, le tronc et le bras gauche de la créature restent côté jardin, trébuchent une seconde, puis s’élancent vers moi pour une nouvelle attaque. Je la repousse et je suis étonnée par sa légèreté. Il doit être sérieusement déshydraté, il ne pèse presque plus rien. Je l’envoie s’exploser contre un palmier du jardin, tout en songeant au morceau de zombi qui est resté coincé à l’intérieur de la porte — selon mes calculs, il doit y avoir encore une tête, un cou, un morceau de buste cramé par le désert, et un bras droit.

Zuuuuut. Je n’arrive pas à me souvenir si j’ai bien clos la deuxième porte, celle qui sépare le tunnel du bunker de mon home sweet home de béton brut. 

Merde. J’ai pas envie qu’un zombi pose sa sale patte partout sur mes affaires. En même temps, je suis vraiment à la bourre et Becky file des blâmes quand on loupe le début de ses sermons interminables. 

J’ai pas trop envie de découvrir ce qui arrive au dixième blâme. Il faut que je me magne. Nan, mais de toute façon, j’ai dû la fermer, cette porte. C’est sûr, oui, je l’ai fermée. Je ferai le ménage ce soir. 

— Mona ? répond (c’est-à-dire aboie) dans le combiné la voix haut perchée de Marcellin, zombi alpha geek de Smart Meat Inc, la meute de Vegas. J’ai vraiment pas le temps de discuter !

Je mets le smartphone sur haut-parleur et je le pose dans la main tendue de la statue de gonzesse antique qui orne l’allée. Tu me tiens ça, steuplait, ma belle?

Julie et Burt Preston, mes propriétaires, ceux qui me louent à l’année le bunker dans leur jardin, ont des goûts plutôt raffinés. Je ne crois pas qu’ils apprécieraient beaucoup de trouver ce ramassis de pruneaux humains zonant partout sur leurs platebandes. 

— Si je te dérange, dis-je à Marcellin, tu n’as qu’à arrêter de m’envoyer des geeks périmés à toute heure du jour et de la nuit !

D’un coup de pied je fracasse le zombi le plus proche. À l’impact de ma combat boot contre sa cage thoracique, il émet un bruit sec, puis va valser vers le petit chemin de pierres sèches qui mène à ma porte. Je me planque aussitôt derrière un gros rocher ornemental. Mais non, le zombi évite au dernier moment la mine antipersonnelle qui traîne dans l’allée et va s’étaler dans le petit bassin vide qui héberge des poissons rouges quand Julie est là. 

Je récupère mon portable dans la main de la statue. Merci, ma poule.

— Marcellin, dis-je dès que j’ai à nouveau collé l’appareil contre ma joue, ça devient vraiment lourdingue et ridicule. Que tu laisses tes gars se transformer en chips humaines dehors au lieu de les ranger dans ton frigo bien proprement, déjà, ça me défrise. Mais arrête de les lâcher dans mon jardin !

— C’est pas moi, ronchonne Marcellin, et il raccroche.

Typique.

Normalement, mon réflexe quand on me raccroche au nez, c’est de rappeler aussi sec pour proférer des insultes et des menaces. Mais là, je dois vraiment filer. 

Un regard périphérique m’apprend que si j’entreprends de nettoyer le bazar dans le jardin des Preston tout de suite, ça va me prendre une bonne heure que je n’ai pas. Je pousse un profond soupir, croise les doigts pour que le facteur n’ait rien à m’apporter aujourd’hui, et sors en courant, en notant mentalement d’appeler la Guilde des sorciers pour voir s’ils ont un truc pas cher pour éloigner les nuisibles. 

Ha.

Ha.

Triple-hah.

La Guilde des sorciers.

Un truc pas cher.

Saisissez la blague ?

La Guilde, proposer un service pas cher ?

Moi, ça me fait rire jaune, parce que j’ai pas l’indice d’une thune en vue. J’ai fini mon dernier paquet de café avant-hier et ma Jeep, ma déesse, est sur son dernier plein d’essence. Bientôt, à moins de gagner au loto, je serai obligée de l’abandonner quelque part à sec, ou pire encore : de la revendre pour croûter. 

Les temps sont durs pour moi, Mona Harker, chasseuse de monstres. 

Alors que la ville est tout à coup infestée de zombis et que ce serait pile le moment de prospecter auprès des autorités et des casinos pour leur vendre mes services, je suis obligée d’aller m’enfermer tous les jours avec Becky Morinsky, ma contrôleuse judiciaire, ou une de ses nombreuses sbires en uniforme beige, pour écouter un brief soporifique sur le code de la ville ou de la magie ou des créatures surnaturelles.

Apparemment, il me manque les bases. Deux ans que je chasse dans les rues de Vegas, exterminant à tour de bras, et bien souvent à l’œil, goules, succubes et autres zombis bien dégueulasses, et tout à coup les minettes de la douane surnaturelle viennent m’expliquer que je n’ai pas les connaissances, ni l’autorisation officielle, pour exercer cette activité pourtant bien nécessaire.

D’après elles, les créatures ont tout autant le droit d’exister que les humains, du moment qu’elles respectent les équilibres de la nature. Tout est question de modération. Les règles sont simples, vraiment, soutient Becky, ce sont des règles de savoir-vivre élémentaire, de tempérance. Ne pas trop forcer sur la magie. Ne pas se faire remarquer. Ne pas pondre dans les bassins du Bellagio. Ne pas féconder ou manger trop d’humains, en tout cas pas plus que ce qui est écrit sur ton permis de chasse. Et surtout, surtout, s’inscrire auprès d’une palanquée d’administrations dont le seul fantasme est de fliquer la terre entière. 

Moi, je me suis arrêtée au mot « tempérance ». J’ai buté dessus et je me suis étalée de tout mon long. Ce mot-là n’est pas du tout dans mon vocabulaire. Tout ça n’est tellement pas pour moi que j’ai fréquemment l’impression, ces jours-ci, de marcher dans un cauchemar éveillé. 

Pourquoi est-ce que je ne peux pas exercer mon art en toute liberté ?

*

— Mona, tu es en retard, sourit Becky quand j’ouvre la porte de la salle tout doucement, dans l’espoir illusoire de passer inaperçue. 

Becky est blonde avec une queue de cheval, des joues roses et des yeux bleus tout ronds. Elle sourit tout le temps. Et son pouvoir de nuisance est terrifiant. 

Nous sommes quatre à suivre son programme de formation, dans les locaux de la douane, qui squatte l’immeuble de la Southern Nevada Water Authority. Il y a Jerry, une goule récidiviste qui a bouffé trop d’humains vivants. Yuck, yuck, triple-iik. Il a échappé à la prison parce qu’il est encore mineur. Becky semble avoir bon espoir de parvenir à rectifier sa mauvaise éducation. Elle passe une bonne partie de son temps à essayer de lui vendre le régime traditionnel des goules, à base de viande d’humain faisandée. En clair, elle préférerait qu’il aille se servir un peu plus dans les cimetières et un peu moins dans les bars. Mais Jerry m’a avoué sans ambiguïté qu’il préférait quand ses victimes se débattent. Il aime bien les tuer lui-même. Il aime bien les manger vivantes. Il m’a offert de me montrer, parce qu’il me trouve appétissante. Je lui ai répondu que le jour où il essayait, je me faisais un plaisir de transformer ses tripes en bouillie en lui farcissant la gorge à l’acide sans même déformer sa jolie gueule puante. Que j’avais pas besoin de permis de chasse, que ce serait de la légitime défense. 

À la base on était censés se parler uniquement pour un travail en équipe. C’est l’idée de Becky. Nous coller en binômes pour qu’on apprenne à se connaître et idéalement, qu’on devienne amis à force d’échanger nos points de vue. J’ai eu beau la prévenir tout de suite que ça n’allait pas être possible, elle s’obstine encore et encore. 

À user ses fonds de culotte dans les cours de Becky avec moi, il y a aussi Corn-Flakes. Il a décliné devant la classe cette identité improbable et s’en est tenu là. Ça a paru suffire à Becky. Moi, il refuse de me parler. Je crois que je lui fais peur. Deux semaines que je viens ici tous les jours et je n’ai toujours pas compris ce qu’il était. Le midi, il s’isole dans les toilettes pour manger son sandwich. Il est étrange.

Et puis, il y a Isadora. Elle, je la comprends un peu mieux, vu qu’elle est comme moi engagée dans une croisade contre la passivité et la stupidité des abrutis. C’est une sirène du Colorado, elle aurait dû rester bien sagement à se tresser des algues dans les cheveux au fond du lake Mead. Mais avec toutes les piscines creusées à Vegas, tous les golfs et les espaces verts, le niveau de l’eau dans le lac de retenue du barrage Hoover baisse continuellement. Le mois dernier, Isa a pété un câble et elle a pris les choses en main. Elle a quitté le lac pour gagner les canalisations de la ville afin d’espionner les plus grands gaspilleurs et in fine, de les buter en les noyant dans leur verre à dents. Elle en a eu une douzaine avant que Becky ne la tope. Facile pour Becky, avec ses contacts à la Southern Nevada Water Authority, elle n’a qu’à dégainer son sourire à fossettes et elle a accès à tous les plans du réseau d’eau de la ville. 

Concernant Isa, je suis partagée entre la sympathie pour sa cause et mon instinct professionnel de tueuse. C’est mon problème ces temps-ci : mes convictions se heurtent à des dilemmes comme celui-là, et je ne sais plus où j’en suis. Les choses et les limites qui étaient si claires avant se sont brouillées.

Tous les gens qui sont dans cette pièce sont typiquement ceux que j’ai juré de tuer quand j’ai choisi ma voie dans la vie. Mais tout part en vrille depuis quelques semaines. À force d’obstination, j’ai réussi à remonter peu à peu la hiérarchie des créatures surnaturelles, et j’ai rencontré des entités largement moins basiques que les zombis ou les succubes dont j’avais l’habitude. Il m’est apparu soudain que certains monstres, comme les sorciers ou les métamorphes, ne suivaient pas un mode d’emploi facilement compréhensible et qu’au moment de les tuer, j’étais dépassée et/ou freinée par des scrupules.

Par chance, les énergumènes qui m’ont posé des problèmes n’ont pas reparu récemment. Je veux parler bien sûr de mon ancien patron, le très létal homme froid « B3 » Black, de sa rivale de longue date Elsie Hannigan, dompteuse, et aussi de Sebastian Persson, un type qui aurait pu devenir un ami et qui a préféré me tourner le dos pour s’enfuir avec Elsie. J’ai appris par la suite qu’il était recherché par la douane et par le réseau des guildes de sorciers, pour exercice illicite de la magie. Pas du tout le genre de cave avec qui j’ai envie de traîner. Absolument pas.

— Tu peux répéter pour la classe ce que je viens de dire, Mona ? demande Becky avec ce sourire qui approfondit sa fossette et la fait ressembler à Jennifer Garner à vingt-deux ans. 

Genre plus fraîche tu te transformes en yaourt de la pub et tu meurs.

— Nan, désolée, je peux pas. 

Becky note quelque chose dans son carnet et je me renfrogne. Le mardi à la douane, c’est le jour des évaluations. D’ailleurs Becky se lève avec une énorme pile de feuilles qu’elle entreprend aussitôt de nous distribuer. 

— Un petit contrôle pour vérifier que tout est bien acquis, et je vous laisse partir ! annonce-t-elle sur un ton inutilement enjoué. 

Je me rebiffe aussitôt. 

— Tu avais dit qu’il n’y aurait pas d’interro écrite ! Je suis dyslexique, ce n’est pas une bonne manière de fonctionner pour moi. 

Elle m’ignore complètement. Deux heures plus tard, je rends une copie aux trois quarts blanche, et je suis pas mal sûre d’avoir foiré le quart restant. 

Chapitre 2

C’est l’heure du déjeuner mais je n’ai pas faim, et ça tombe bien, vu que je n’ai plus de blé pour m’acheter à manger. Je décide de prendre le taureau par les cornes et de profiter de la pause pour aller voir Becky dans son bureau. 

— Je peux entrer ? 

— Bien sûr. 

Becky est toujours partante pour discuter. Elle est disponible, souriante, polie, efficace. Elle est blonde et parfaite et elle mange une salade de pâtes aux boulettes de viande. 

— Becky, lui dis-je en me laissant tomber dans la chaise en face de son bureau, j’ai besoin d’une dérogation pour retourner bosser. Il faut que tu me signes un permis de tuer. Vegas est infestée de zombis, il se passe des trucs vraiment très bizarres et je dois…

Les cils de Becky se mettent à papillonner très vite et son sourire se refroidit. 

— Tout est sous contrôle, me fait-elle savoir. 

Et effectivement, je l’ai vue à l’œuvre, je sais qu’elle dispose de moyens de mettre les zombis au pas presque même sans lever le petit doigt. 

— Au fait, Becky, ton fameux pouêt-pouêt magique qui rend les zombis doux comme des agneaux, tu t’en sers beaucoup ces temps-ci ? 

Elle sourit sans répondre.

— Ce sont les affaires confidentielles de la douane, dit-elle. Je ne peux pas en parler aux civils.

— Non, parce que ça m’aurait rendu service tout à l’heure à Boulder City, quand mon jardin était envahi par des morts-vivants séchés au soleil. Et tiens, à ce propos, tu te rappelles le jour où on s’est rencontrées ? Au casino, pendant cette attaque de zombis ?

— Comme si c’était hier, dit Becky avec un frémissement de narines. Ce n’est pas un souvenir que je chéris particulièrement, Mona. Tout le service a eu un blâme pour le bazar infernal que tu as semé là-bas. 

— C’était pas de ma faute. Et les zombis que tu as arrêtés ce jour-là, tu en as fait quoi ? Ils ont été relâchés dans le désert du Nevada, si je ne m’abuse ? 

Pas de réponse.

— Parce qu’à mon avis, ils sont de retour en ville. Ils ont pris les vacances que tu leur as si généreusement offertes, et puis ils sont rentrés tout bronzés. Les déporter, tu vois, c’était pas une si bonne solution. 

— Tu prétends peut-être discuter les méthodes de la douane ? 

— Non, dis-je prudemment. Je veux juste essayer de te faire comprendre qu’il y a peut-être une place pour une personne de bonne volonté, dynamique comme moi, dans le paysage actuel de Vegas.

Je ne veux pas retourner faire la secrétaire dans une entreprise normale. C’était déjà un contremploi quand je m’occupais de la réception chez CHANCE OF YOUR LIFE, et ce qui s’est passé avec Black m’a dissuadée de jamais rebosser pour quelqu’un d’autre. Je veux pas d’un nouveau patron pour me bouffer la moelle entre les oreilles. Je suis déterminée à vivre de mon vrai talent — dézinguer des monstres. 

— Mona, dit Becky avec un sourire gentil et navré, je viens de relire ton test de ce matin. 

Pfff… et moi qui espérais qu’elle n’aurait pas encore eu le temps. 

— Et ?

— Ça ne va pas du tout, soupire-t-elle. Tu sais que j’engage mon autorité quand je signe une licence.

— Pose-moi des questions à l’oral ! Je connais toutes les réponses. Demande-moi n’importe quoi sur les créatures, leurs régimes alimentaires, leurs points forts et faibles… ce que tu veux. 

— OK, fait Becky. Qui a fondé la douane ?

— Qu’est-ce qu’on en a à faire ? À quoi ça va me servir face aux morts-vivants, de savoir quand et comment des types qui sont assurément momifiés aujourd’hui ont décidé que la paperasse était la solution à tous nos problèmes ?

Les narines de Becky frémissent à nouveau. 

— Mona, si tu me donnes la bonne réponse, je t’accorde ta licence. 

Je reste devant elle, la bouche ouverte. Je suis sûre que je m’en souviens. Elle en a parlé. Ça m’échappe juste très provisoirement.

— C’est…

Becky attend sa réponse avec un sourire patient qui me donne envie de lui enfoncer son bic dans les trous de nez. 

— Attends, je l’ai sur le bout de la langue… c’est quelque chose avec les chercheurs d’or… et il y a des pères fondateurs… non, des mères fondatrices… 

Becky pousse un profond soupir. 

— Plus ou moins, Mona. La douane a été fondée par un conseil surnaturel de mères fondatrices au moment de la ruée vers la magie. Et tu peux me dire à quoi elle sert ? 

— Euh… non.

— À préserver l’équilibre magicodynamique de la ville de Las Vegas. Mona, je ne crois pas que ta dyslexie soit un problème dans le cas présent. Le problème, c’est que tu n’écoutes rien et que tu te fiches de l’autorité. Tu penses que toute cette formation est une plaisanterie. 

C’est vrai. Elle a raison. Je pense exactement ça. 

— Mona, je ne crois pas que tu saisisses vraiment la gravité de la situation. Je ne peux pas envoyer une chasseuse-nettoyeuse incapable de retenir les basiques de l’équilibre magicodynamique de Vegas dans les rues comme ça. Je suis désolée, mais moi aussi j’ai des responsabilités à assumer. Le but de cette formation n’était pas de t’enseigner les points forts et faibles de toutes les créatures pour que tu puisses continuer à les massacrer à tort et à travers au mépris de cet équilibre que la douane cherche à défendre. Navrée, Mona, mais je vais être obligée de te recaler. 

C’est tellement énorme qu’il me faut trois bonnes secondes pour que ça arrive au cerveau. Ça ne passe pas dans les tuyaux. 

— Attends… Tu rigoles ?

— J’aimerais bien, soupire Becky.

— Mais tu ne peux pas me faire ça !

— Hélas, si, et même, c’est mon travail de le faire. 

— Et Jerry ? Tu vas le renvoyer dans la rue, Jerry ? Dis-moi au moins que tu recales Jerry ?

Elle baisse les yeux. Je proteste bruyamment : 

— Mais lui, c’est un véritable danger public ! Un sadique psychopathe ! Pourquoi il retourne dehors et pas moi ? 

Becky tourne la tête de côté, ce qui fait basculer derrière elle sa longue queue de cheval blonde. Swishhh. 

— Toi aussi tu es un danger public, Mona. C’est tout ce que je voudrais te faire comprendre. Que toi aussi tu dois faire attention à ton empreinte magicodynamique. Toi aussi tu dois rester raisonnable. 

Je me renfrogne aussitôt. 

— Je serai super raisonnable, promets-je. 

Elle secoue la tête. Swishhh, swishhh, fait la queue de cheval dorée. 

— Désolée, Mona, mais ce n’est pas si facile que ça. Tes évaluations psychologiques montrent que…

Oh, non, si elle commence à sortir les évals psy, ça sent le roussi.

— Mais j’ai besoin de travailler pour vivre ! lancé-je, désespérée. 

Ben quoi. Si ça se trouve, faire appel à sa pitié, ça peut fonctionner. 

— Tu pourrais faire autre chose, avance Becky d’un air dubitatif. 

— S’il te plaît… je t’en supplie. 

Les mots m’arrachent la bouche, mais je suis vraiment au pied du mur. 

— Je ne peux pas te relâcher dans la nature, répète Becky, catégorique, avant de se radoucir un peu. Mais j’ai peut-être une solution pour toi. Compte tenu de ton passé autodidacte et de ton extraction humaine ordinaire, la douane est disposée à te laisser une autre chance. Sur ma recommandation, nous allons essayer avec toi un mode d’apprentissage plus concret et progressif. Un poste de stagiaire auprès de la douane vient de s’ouvrir suite à une défection, ce matin. 

Quoi ? Non. Jamais de la vie.

— Je…

— C’est super, non ? sourit Becky. C’est moi qui serai ton superviseur. On commence demain aux aurores.

Réveillez-moi, c’est un cauchemar. 

— C’est payé au moins ?

— Une misère, sourit Becky. Tout juste de quoi manger. Mais dès que tu auras fait tes preuves, je te libère. 

Je suis punie. Je suis maudite. 

— Alors ? demande Becky. Tu es partante ? 

Je déglutis péniblement. Évidemment, je préférerais presque me jeter sur la mine zombie dans mon allée que de travailler pour la douane. Mais on parle d’une torture provisoire. Et apparemment nécessaire. Et je ne suis pas sûre d’avoir le choix. Mes autres options — passer dans la clandestinité ou quitter MA ville — ne me semblent pas vraiment réalistes. C’est le moment de se faire violence et d’accepter un deal avec le démon. Avec ce qu’elle me propose, je peux peut-être offrir un autre plein à mon 4×4. Juste le temps de voir venir.  

— OK, articulé-je d’une voix sourde, pendant que toutes les cellules en moi hurlent à l’erreur tragique.  

*

Je n’ai peut-être rien enregistré sur la douane, mais j’ai passé deux semaines à encaisser des informations incroyables au cours de cette formation. Moi qui croyais lutter uniquement contre des goules, des vampires et une bande de zombis couards et égocentriques, j’ai failli à plusieurs reprises tomber de ma chaise sous le coup de la surprise. En bref, il s’avère que tout le bestiaire des contes de fées, des dessins animés, des religions et des films d’horreur est inspiré de réalités tangibles. Et tout ça se retrouve pêle-mêle dans les rues de la ville. Il n’y a pas que les casinos et les spectacles qui aient pété un câble à Vegas. Ici, les lois de la physique et de la logique ont pris des congés à durée indéterminée au même titre que celles du bon goût. Quant au désert du Nevada, il grouille littéralement de monstres et de créatures paranormales. Il y a des trolls, des djinns, des métamorphes, des banshees et des phénix et des vers des sables, des sirènes, des dieux, des nymphes, des épouvantails.

Voici les statistiques. Aux Etats-Unis, environ 0,01 % de la population — soit une personne sur dix mille — n’est pas totalement humaine. C’est déjà énorme. Dans le Nevada, et à Las Vegas en particulier, cette proportion explose littéralement. D’après la douane, plus de cinq mille créatures vivent ici à l’année, et les touristes qui demandent leur visa doublent cette population presque à tout moment. 

Cette ville est un safari surnaturel, sans autre garde-fou que la douane pour protéger les populations les plus fragiles — tiens, par exemple, les humains — contre un véritable pandémonium paranormal. Sauf que la douane se fiche pas mal de la sauvegarde des humains, c’est la magie qu’elle entend préserver. Et je n’arrive pas à savoir qui d’autre s’occupe de la population générale dans ce contexte. La Guilde des Sorciers ? Qui peut vraiment s’offrir ses services ? 

Il y a besoin de gens comme moi ici. Il faut juste que je m’accroche. Je vais y arriver. 

Mais pour l’instant, c’est frustrant, déboussolant. J’apprends l’existence de tout ce monde flippant, et au lieu de me donner des armes, on me dépouille de tous mes moyens, et on me claque la porte au nez. Ça me fiche en rogne, vous n’avez pas idée. 

Le truc qui m’énerve le plus, je pense, c’est toute cette obligation de garder le secret. Pour obtenir un visa, il faut jurer qu’on ne trahira pas l’existence de la douane, de la magie ou de la communauté surnaturelle dans son ensemble. Quand Becky nous a « rappelé » ça, les autres « étudiants » ont eu l’air de trouver ça parfaitement normal. Jerry a ricané, ce qui semble être sa réponse à la plupart des interactions sociales. Isadora a haussé les épaules d’un air entendu. Même Corn-Flakes a paru barbé. 

— Comment ça ? j’ai demandé. 

— Ça me paraît simple, a souri Becky, fossette et tout. Il s’agit d’une mesure de sécurité élémentaire pour protéger la communauté surnaturelle.

— Mais, j’ai fait, et les humains ? 

— Les humains sont plus nombreux, s’ils s’avisent de nous exterminer, ils y parviendront sans problème, a complété Becky, sur un ton où perçait la plus infime pointe d’agacement et de froideur. 

— Les humains dans leur ensemble sont nombreux, j’ai convenu. Mais les individus ? Ils n’ont aucune chance de s’en sortir s’ils ne savent pas à quoi s’attendre. J’en reviens pas qu’on discute aussi froidement des « quotas de prélèvement » et des « protocoles de nettoyage », comme si on ne parlait pas de meurtre organisé ?

— Ce n’est pas notre problème, Mona, a dit Becky d’une voix douce, mais ferme.

— Mais toi ? Tu n’es pas humaine ? 

— J’ai prêté serment à la douane il y a bien longtemps. Je fais partie de la communauté paranormale maintenant. 

— Et ta famille ? Elle est au courant ? Tu n’as pas des petits cousins qui risquent de tomber sur un vampire dans un coin sombre ? 

Elle se raidit et élude complètement ma question. 

— Mona, si la réglementation ne te plaît pas, je t’invite à changer de profession ou de pays. 

OK, j’avoue, ce jour-là, j’ai pas fini la journée de cours, je suis partie en claquant la porte. C’est probablement cet après-midi-là qu’ils ont évoqué le rôle de la douane, les mères fondatrices et tout le tralala. Zut.

Chapitre 3

— Brit-Brit, je t’en supplie à genoux. Invite-moi à prendre un verre ou deux. Ou douze. Et un repas chaud.

— Mona ? répond au téléphone la voix cultivée, à l’inimitable accent british, de mon plus improbable ami.

Je grogne :

— T’es la seule personne à qui je puisse parler, là. Et tout ça, c’est largement de ta faute. Si t’avais été plus compétent, je serais pas dans cette merde noire à l’heure actuelle.

Un petit rire amusé me répond. 

— Quel plaisir rafraîchissant de t’entendre à nouveau, chère amie. Souhaites-tu que nous déjeunions ensemble ? Après tout, il n’est jamais que quatorze heures cinquante.

Britannicus Watson, Brit-Brit si vous voulez l’énerver un peu, s’est carrément détendu depuis qu’on se connaît. Au début de notre grande amitié, il serait aussitôt monté sur ses grands chevaux, m’aurait rappelé sur un ton très poli et extraordinairement pète-sec qu’il est un sorcier de catégorie 1, et qu’on n’a pas gardé les cochons ensemble. 

Là, vu qu’il est en roue libre depuis qu’il a claqué la porte de la Guilde des Sorciers de Las Vegas, il a arrêté de me snober. Entre freelances à la dérive, on se comprend. Ces derniers temps, il attend lui-même un feu vert de la douane pour pratiquer sa magie sans avoir à pointer à la guilde locale. Il est donc mon compagnon désigné pour bitcher sur la douane, ce qu’il fait avec un plaisir coupable mais évident. On se voit de temps en temps. Comme il est riche, je lui tape de la bouffe quand je peux. 

Une demi-heure plus tard, on se retrouve dans un restaurant de downtown, derrière Fremont Street. La décoration intérieure est improbable : fauteuils en panne de velours grenat, murs voûtés recouverts d’une couche de matériau brillant et irisé qui pourrait être une tentative d’imitation de nacre en plastique. Sans oublier ces palmiers synthétiques autour des tables qui donnent à chaque box une atmosphère intimiste protomafieuse. Après tout, on est dans le quartier historique de la ville. J’ai beau être née dans le coin, Vegas ne cessera jamais de m’émerveiller.

— Dis-moi, mon Brit-Brit, pourquoi j’ai l’impression d’être ta maîtresse cachée tout à coup ? Tu m’invites plus dans les bars select au sommet des buildings ? Y a même plus d’aquariums avec des requins ? C’est depuis que je t’ai déclaré ma flamme éternelle, tu penses que c’est dans la poche ? Ou bien c’est parce que t’es dans la dèche et que tu peux plus te payer ton Glengoyle 15 ans d’âge ?

— Bonjour, Mona, c’est toujours un plaisir, réplique-t-il sur un ton policé où perce la plus discrète pointe d’agacement amusé.

Il se déscotche de sa banquette, le temps que je m’asseye. Je suppose qu’il ne pourra jamais totalement se débarrasser de ce gigantesque balai qu’il a dans le séant. C’est aussi pour ça que je l’aime. 

— Bon, au moins t’arrives à rester propre, c’est bien, commenté-je en me laissant lourdement tomber dans la banquette. Garçon ! Une margarita !

— Toi, en revanche, tu n’as pas l’air très bien en point, constate Britannicus. 

Je pousse un soupir peiné.

— Je sors de la douane. J’ai été recalée, et maintenant, je dois faire un stage sous les ordres de Becky, ou changer de métier.

Brit-Brit fait la grimace. 

— Ça ne va pas être facile pour toi de te recycler.

Son commentaire serait presque vexant si ce n’était aussi douloureusement vrai. 

— Je vais pas me recycler, je grogne. Je vais faire le stage. 

Hah. Ça, ça lui coupe la chique, au sorcier de catégorie 1.

— Toi ? Mona Harker ? Tu vas travailler pour la douane ? 

Il passe sur sa figure une de ses longues mains hydratées et manucurées, aux ongles clairs et roses parfaits contre sa peau sombre, tout en contemplant le lointain d’un air rêveur. 

— Ouais, fais-je, à moi aussi ça m’inspire une paralysie d’horreur. Mais j’ai pas le choix.

Le serveur arrive avec ma première margarita. J’en commande aussitôt une deuxième. Brit-Brit, lui, semble déterminé à carburer à l’eau gazeuse. 

— Bon, Britou, raconte-moi un truc fun pour me changer les idées, steuplaît. Quoi de neuf dans le monde fabuleux du charlatanisme magique ? 

Mon histoire a dû le sonner pour qu’il en oublie de se rebiffer. Zut. J’ai besoin d’un interlocuteur avec un peu de répondant, là, sinon je vais devoir me mettre en chasse et je risque de faire des bêtises.

— Mona, tu sais très bien que mes missions et mes savoir-faire sont confidentiels et que je ne…

Je le coupe. 

— Merde, Brit-Brit, t’es pas marrant. Je compte sur toi pour faire diversion, là ! Trouve un truc à me raconter. N’importe quoi. Fais-moi l’article. Dis-moi comment t’as décroché ton diplôme. Même si c’est dans une pochette surprise. Raconte-moi ton enfance dorée chez les anglitches. N’importe quoi.

— Confidentiel aussi. 

— Quoi, t’es quand même pas le fils top-secret de Batman et de la reine Elizabeth. 

Il m’adresse un doux sourire et je me lève. 

— Bon, voilà ce que je vais faire. Je vais me servir à manger, et quand je reviendrai, j’espère que t’auras un sujet de conversation pour moi. 

Il soupire. Il sait que la chasse me manque. Il peut comprendre, vu que de son côté il est privé de magie jusqu’à nouvel ordre. Là, ça fait deux semaines que je passe mes journées enfermée dans une salle de classe. Je sens littéralement les neurones me dégouliner par les oreilles. J’en peux plus, j’ai besoin d’ACTION.

Quand je reviens à table, il ouvre des yeux ronds en découvrant le contenu de mon assiette.

— Je… Mona… tout va bien ?

— Oui, pourquoi ?

— Ça… hum, ça fait combien de temps que tu n’avais pas mangé ? 

Je baisse les yeux vers l’empilement d’œufs brouillés, de bacon, de jambon, de tortillas et de guacamole qui menace de s’effondrer sur la table. 

— Oh, juste un jour ou deux. Heureusement que t’es là, mon Brit-Brit. J’ai dû limiter mon entraînement pour garder mes calories et c’est jamais une bonne idée.

Brit-Brit, dont le sport le plus trépidant est sans doute le golf, fait une moue mais n’ajoute rien. J’attaque ma pyramide de protéines et de lipides avec entrain. 

— Je t’écoute. 

Il soupire à nouveau et je lève brièvement la tête. 

— Tu ne vas pas me faire une déprime, hein ? 

— Je suis quelque peu préoccupé, admet-il, réticent. 

— Becky te fait des misères à toi aussi ? 

— Non. Becky fait ce qu’elle peut, elle gère des arcanes administratifs dont tu n’as pas idée. C’est autre chose. Quelque chose dans l’air. 

— Aha ? 

— Ça sent la magie, complète Brit-Brit. 

J’ai un flash d’orage sur le désert, de chaud-froid contre la pierre, de craquement d’ozone et de nuit, et je perds momentanément le fil de mes pensées. 

Mais je ne crois pas que la magie veuille dire la même chose pour Britannicus et pour moi. Je relance donc vaillamment, la bouche pleine :

— C’t’à dire ?

— Quelque chose ne va pas. C’est une question de signaux faibles. Des disparitions, des apparitions, des évolutions dans le monde de la magie. Prises séparément, elles pourraient toutes être fortuites, mais leur accumulation, leur convergence m’inquiète. 

Je fais une pause dans mon dej pour scruter le sorcier de plus près. Je n’y avais pas prêté attention, mais son teint est plus pâle, ses yeux cernés. Quelque chose l’empêche de dormir, et contrairement à moi, ce n’est pas la faim ni la folie absurde des gratte-papier. 

— Bizarre, commenté-je en piquant ma fourchette dans une quadruple couche de bacon. Tu peux m’en dire plus ? 

Après une gorgée d’eau gazeuse il se lance.

— Des créatures ont disparu au cours des derniers jours. Un phénix, un jeune dragon, un puma, une succube. 

Je manque de recracher ma bouchée dans mon assiette. 

— En quoi c’est une mauvaise nouvelle qu’une succube disparaisse ? Je te suis pas, là. C’est des saloperies, les succubes. 

(Et si c’était celle que j’ai tuée pas plus tard que l’autre jour, avant de me faire toper par Becky ?)

— D’après ce que j’ai entendu, signale Brit-Brit, celle-ci appartenait à un clan qui respecte scrupuleusement le code. 

Toujours ce fameux code qui protège les engeances les plus douteuses. 

— OK, dis-je, en essayant de garder l’esprit large. Des disparitions louches. Et pour le reste ?

— Il y a de nouveaux métamorphes en ville. Des loups. Très agressifs. 

— Aha.

Je classe ça dans un coin de ma cervelle, pour plus tard.

— Et une amie à moi… Mais je ne peux pas te raconter sa vie, elle ne te regarde pas. La magie se déplace, Mona. Quelque chose de tellurique est à l’œuvre ici. 

Tellurique. OK.

— T’as besoin de tirer un coup, diagnostiqué-je. Le prends pas mal, mais ça te ferait du bien.

J’entends d’ici les ricanements au premier rang. Brit-Brit n’est pas le seul à avoir besoin d’un peu de relaxation ciblée. Je sais. Mais en fait, on n’est pas tout à fait pareils, lui et moi. Moi, je relève à peine d’un genre de gros raté. J’ai des circonstances atténuantes. J’ai pris un mauvais embranchement sur la route du happily ever after. Brit-Brit, lui, j’ai l’impression qu’il n’essaye même pas. 

Pour le moment, il affiche une expression outragée tellement comique que je pouffe aussitôt en vaporisant un nuage d’œuf brouillé sur la table. 

— Peut-être avec l’amie en question ? j’ajoute, en prenant un malin plaisir à le tourmenter.

Puis je sens que je le contrarie vraiment, alors, je change de sujet. 

— Tu as réfléchi à ma proposition de partenariat, mon Britou ?

Un sourire de loup transforme aussitôt sa physionomie déconcertée.

— Ce que j’aime avec toi, Mona Harker, c’est que tu ne doutes jamais de rien. Une joint venture 50-50, sérieusement ?

— C’est l’occasion unique d’investir sur mon business avant qu’il n’explose, fais-je valoir. Tu sais comme moi qu’il manque un shérif à Vegas. 

Il hausse les sourcils.

— Et tu penses pouvoir jouer ce rôle ?

— Tout ce que je veux, c’est garantir que les citoyens ordinaires ne souffrent pas de tout ce bazar, et je ne crois pas que quelqu’un s’en soucie vraiment.

Il penche la tête de côté, fait rouler un moment la salière d’un air pensif. 

— Peut-être pas, admet-il. 

— Alors, ça veut dire que t’es partant ? 

Je sais que je lui demande de se brader pour m’aider. Je compte sur le fait qu’il semble avoir quelques principes. 

— Non. 

— Allez, quoi. 

— Au cas par cas, si tu m’apportes toi aussi de la valeur, on pourra négocier, concède-t-il.

— De la valeur ? Tu veux dire si je pète la gueule à des méchants pour que tu n’aies pas à remuer tes petites fesses ? 

— Je pensais à des informations. Tu sembles avoir le chic pour dénicher les bizarreries de la magie. Tu as des nouvelles d’Elsie Hannigan ? De Sebastian Persson ?

Je secoue la tête. Britannicus est fasciné par la magie d’Elsie et de Seb. Moi, j’essaye essentiellement d’oublier que nos chemins se sont croisés. Il y a à peine trois semaines, j’ai découvert que le grand patron de ma boîte, Mr Black, était un monstre d’envergure mondiale, un « homme froid » qui vampirisait tout sur son passage. Et qu’il entendait faire subir le même sort à Vegas et à ses touristes, juste pour le kiff magique, pour se nourrir de leur force vitale. Heureusement, j’ai réussi à l’arrêter avec l’aide ambiguë d’un ancien collègue à moi, Sebastian Persson, et de sa protectrice / assistante / dompteuse, Elsie Hannigan. Je n’ai toujours pas compris exactement ce qu’ils étaient. Juste qu’ils avaient accès à des doses dangereuses de magie, qu’ils opéraient sans la bénédiction de la douane, que Seb me plaisait mais qu’Elsie, plus puissante, me détestait. 

Parfois, mieux vaut renoncer à comprendre et suivre son petit bonhomme de chemin, même s’il mène chez Becky Morinsky.

— Rien du tout, affirmé-je. 

Brit-Brit commande deux autres margaritas et nous les buvons en silence. 

La suite ici à partir du 7/05/2019