Organiser ses séries quand on est un.e pantser

Mona Harker 2 en un coup d’oeil (n’essaye pas de lire, tu vas te divulgâcher)

En écriture, je suis une improvisatrice. Je ne fais pas de plan. Je ne prends même plus vraiment de notes. J’en tenais, abondamment, quand j’ai commencé à écrire, mais au fil du temps je me suis aperçue qu’elles ne me servaient à rien et qu’elles constituaient, au mieux, un médium de procrastination pour moi. 

Cela ne veut pas dire que je sois fouillis. Je produis un travail structuré. Quand j’écris, je réfléchis aux points d’inflexion de l’histoire, aux motivations des personnages, au rythme du récit, j’utilise la boîte à outils de l’écrivain. En fait j’établis un plan, il est même très détaillé — le plan, c’est le texte lui-même. Au fond, je ne crois pas qu’il soit possible de décrire par un plan un objet créatif. Ou alors cela requerrait un niveau de maîtrise, de contrôle et de vérification qui me paraît inhumain. 

Donc tout est quelque part dans ma tête, mais le télécharger dans un document intelligible pour quelqu’un d’autre ou pour le moi de plus tard me paraît d’un ennui mortel.

Le problème, c’est quand on écrit des séries : la rédaction s’étale sur des mois, des années. Parfois la matière finit par être abondante. Au moment d’écrire la suite, on peut avoir oublié les points clefs et se relire soi-même, c’est bizarre — à la fois exaltant, stressant, et très fastidieux. Il y a tellement d’autres livres dans le monde, c’est dommage de gaspiller son temps à relire pour la 25e fois un livre qu’on a écrit soi-même. 

Pour économiser un temps précieux, j’ai donc fini par m’organiser un minimum. Voici quelques idées éprouvées pour garder le fil. Si vous marchez comme moi (ou pas), elles vous seront peut-être utiles.

1. Faire un plan au fil de l’eau 

Maintenant je fais des plans à nouveau, c’est juste que je les écris en même temps que l’histoire. Quand une scène est finie, je la décris dans un document très sale et très moche (parce que j’ai horreur des plans). Je prends 2 minutes et je le fais tout de suite. Mon subconscient créatif trouve cette tâche insoutenable, mais ça reste un investissement utile et pas très cher. 

En cours de rédaction, en consultant mon plan, je retrouve la structure du roman en 1 coup d’œil. Si j’ai une boucle ouverte, je la repère tout de suite. Parfois, je note aussi les problèmes non résolus, histoire d’en laisser un minimum à la fin de l’histoire (et de savoir lesquels, c’est quand même mieux XD).

2. Créer des documents de référence

Pour conserver la maîtrise d’une série, j’utilise les documents suivants (ils sont très courts, si ça fait plus d’une page, je sais que je ne le relirai jamais, donc ça ne servira à rien) :

> Un plan de vol élémentaire.

Du style, les principes de base de la série, même si on est allergique aux plans, c’est quand même le B.A.-BA. 

Par exemple, pour ma future série qui démarre cet automne :

C’est une urban fantasy se déroulant à Paris, avec un arc fantastique sur 6 livres et une structure de romance pour chaque histoire — donc je sais déjà qui sont les protagonistes & antagonistes dans chaque roman, et j’ai une idée très claire de la direction générale.

Les principes narratifs de base et le moteur de la série, c’est bien de les connaître à l’avance, quand même 🙂 

Points de vue alternés, présent, première personne, c’est pratique aussi de s’en souvenir.

> Une liste basique des personnages (et des lieux). 

Je ne fais pas de « fiche personnage », tu m’as bien regardée ? Mais je note au fur et à mesure que cela se présente leur apparence physique, leur âge, leur métier, les informations clefs que j’aurai la flemme de chercher par la suite, les éléments déterminants pour éviter les problèmes de continuité. Si Leila se fait couper un lobe d’oreille par un psychopathe, je note que ça va être compliqué pour elle à l’avenir de porter des boucles. Quand un personnage meurt, je ne le raye pas forcément de la liste (j’écris du fantastique, hein), mais je me le marque quelque part.

Je plaisante. En général, je me souviens très bien de qui est mort ou vivant ou les deux.

> Les boucles ouvertes évoquées plus haut.

Les boucles ouvertes sont ce qui crée le suspense, donc c’est bien d’en avoir en rab à la fin d’un chapitre ou d’un livre, mais il ne faut pas abuser. Pensez à Lost (si vous êtes vi.eux.eilles). Trop de boucles ouvertes tuent la boucle ouverte. Je garde une sorte de comptabilité, sous forme de questions par exemple, qui évoluent au fil de la narration. 

> Les notions de worldbuilding indispensables. 

C’est au cas par cas. La liste des sorts dans Convoitise, les pouvoirs magiques des uns et des autres en 2 lignes, les limitations de l’univers, la direction que prennent les choses. C’est le plus important et le plus difficile à décrire. 

Je n’ai pas de « lois de l’univers » a priori quand je commence à écrire un livre, parce que mes livres sont organiques et que l’histoire naît des personnages et de leurs actions, pas l’inverse. Tout le monde vous dira de poser les lois avant, mais en réalité, c’est comme un plan. Si vous fonctionnez comme moi, il vous sera peut-être plus utile d’établir vos lois au fur et à mesure que vous en avez besoin. Les seules contraintes à respecter à tout prix sont celles de la cohérence et de la logique — il faut respecter sa propre intelligence et celle de son lecteur. 

> Une timeline si c’est vraiment la peine

Parfois, quand je m’embarque dans des histoires avec réalités parallèles, vies antérieures et voyages dans le temps (ça m’arrive quand même régulièrement), je fais un schéma pour ne pas trop me planter.

Allegra Vanderbilt (Anéance) se téléporte dans l’espace, visite et fait exploser modifie des réalités parallèles. Et rapporte des objets / des personnages. Là, c’est sûr qu’il faut suivre et garder des traces. Mais 10 pages, pas plus.

3. Tenir une bible a posteriori

J’utilise donc une bible, mais peut-être pas au sens où vous la pratiquez. Le document de worldbuilding évoqué ci-dessus, ce sont des notes pour moi, il peut encore contenir des questions, des hypothèses. 

Au fond, ce sur quoi vous avez pris des engagements, c’est le texte de l’histoire. Ce qui n’est pas écrit n’existe pas.

En revanche, ce qui est écrit et publié a déjà été gravé en lettres d’or dans l’imagination de milliers de lecteurs. Partant, le morceau de dialogue avec un bout de drague qui décrit précisément le coup de chaud de Mona Harker lorsqu’elle pratique accidentellement la magie pour la première fois FAIT LOI. 

Quand je relis un livre pour la dernière fois avant d’appuyer sur le bouton pour le publier, je rassemble tous ces petits morceaux hétérogènes dans un document texte électronique basique, avec parfois des clefs d’entrée et les séquences de mots que je pourrai avoir ultérieurement besoin de rechercher. 

Et vouala, tadaa ! une bible. Avant d’attaquer la suite, je relis ces bribes. C’est indigeste, mais ça remplit son rôle.

4. Quel format ?

Chez moi, il y a déjà une telle masse de papier et si peu de place que j’essaye de produire des documents électroniques. Mon grand challenge est de leur donner un format/une structure constante sur tous les projets.

Parfois, m’organiser me semble si horrible que j’utilise ma graphomanie comme levier pour faire le travail. Je me retrouve avec des documents papier que je prends en photo — ça marche aussi, tous les moyens sont bons.

J’en profite pour formuler une énième déclaration d’amour à Scrivener, qui permet de router les idées vers les bons fichiers quand ça va un peu trop vite tout en sautant du coq à l’âne. Vous pouvez entièrement financer l’achat de ce logiciel avec l’argent économisé sur l’aspirine. 

Bénéfice collatéral : à gauche, une infime partie de la pile de notes avant d’arrêter les notes. A droite, toutes les bibles de toutes les séries actuellement en cours. Le trieur est moche, mais c’est parce que j’essaye de limiter ma consommation de plastique.

5. Une ou deux autres astuces pour gagner du temps quand on est une grosse flemmasse et qu’on n’a pas de mémoire 

> Écrire le pitch en même temps que le livre. 

Un pitch, c’est fabriqué avec des « hooks », des hameçons pour harponner son lecteur, pour lui faire savoir quels aspects alléchants et croustillants vous allez développer dans votre histoire. D’aucuns affirmeront que cela s’écrit mieux avec un peu de recul sur le livre (pour ne pas être tenté de transformer le pitch en un horrible résumé). Le problème c’est qu’avec le recul vient l’oubli…

Quand au cours de la rédaction je vois un truc qui brille dans mon histoire, je fais comme une pie : je le ramasse tout de suite, je le polis un peu, et je le mets de côté pour le pitch. Parfois, une notion me plaît tellement que je décide de l’utiliser pour structurer la 4e de couv. Je prends 10 minutes pour faire une tentative. 

Si c’est bien, je le garde. Sinon, je m’en fiche, c’est du bonus, une tagline pour plus tard, un bout de marketing ou bref. 

> Pareil pour le brief de la couverture. 

> Écrire la scène quand la scène frappe à la porte

Si une scène veut s’écrire, ça veut dire que c’est le moment de l’écrire. Peu importe si elle concerne un autre livre, un autre personnage, ou si elle finira à la poubelle. C’est important d’écouter son intuition. 

Voilà quelques-uns de mes trucs pour m’organiser tout en perdant aussi peu d’élan que possible. J’espère que cela sera utile à quelqu’un. N’oubliez pas que si vous ne vous retrouvez pas dans un conseil d’écriture, vous pouvez toujours décider de le jeter à la poubelle. Vous êtes la seule personne à savoir ce qui est bon pour vous, et peut-être que vous ne fonctionnez pas comme tout le monde, ou comme les gourous du moment/les profs d’écriture/les autres en général voudraient vous voir fonctionner. 

Amusez-vous bien !