Réduire l’éditeur interne au silence.

En écriture, je suis une improvisatrice. Ça veut dire que j’écris sans savoir où je vais, et je vois où l’histoire me mène. Je prends un matériau qui est comme une prophétie autoréalisatrice et je le laisse faire son truc. C’est hyper zen. Il faut regarder l’histoire se dénouer et sortir du tube sans perturber la couleur. Donc mon rôle d’écrivaine est surtout de limiter les éléments de distraction ou de doute qui empêchent le bon déroulement du processus et de ne pas me prendre les pieds dans le tapis. 

Le problème, c’est qu’en tant qu’adultes plus ou moins responsables, nous avons tous été éduqués à nous relire, nous vérifier, nous censurer, questionner les mérites et le sens de nos propos etc. Malheureusement, ces compétences ne sont pas utiles du tout à l’écriture de fiction, et pour bien avancer, il faut les mettre en veilleuse. Dans le jargon d’écrivain, on appelle ce contrôle qualité superflu l’éditeur interne (mes excuses aux éditeurs externes qui sont souvent des gens bien, ce n’est pas d’eux que je parle). L’esprit critique a sa place en fin de processus, quand il faut se relire et se corriger et finaliser son livre pour le présenter aux lecteurs. Il peut être bon en marketing, avec un peu de chance. Mais en imagination, c’est un gros zéro. Il écrit le même truc qui a déjà été écrit cent fois, c’est un trouillard et un conformiste. Et le pire, c’est que si on le laisse mettre son nez dans le processus créatif, il fait tout dérailler. Ça devient fade et plat et la muse part jouer ailleurs : sur Netflix, sur un autre projet, sur 1001 distractions qui lui paraissent tout à coup bien plus exaltantes. En bref, l’éditeur interne est un élément toxique qu’il faut pouvoir congédier. 

Le mien est terrible. C’est presque un miracle au quotidien si j’arrive à faire quoi que ce soit. Mon mode par défaut est le doute, l’angoisse et la dépression. C’est comme ça que je me réveille le matin, peu importe si je vis avec mes personnes préférées au monde et que j’exerce le métier de mes rêves. Je ne suis pas déprimée à un niveau qui puisse être cliniquement jugé comme débilitant. Mais c’est juste assez pour me tuer en tant qu’artiste, si je me laisse faire. 

SI je me laisse faire. Et je suis une warrior qui ne se laisse pas faire.

Parfois c’est compliqué, parfois j’aurais besoin d’une intervention magique. Au début j’avais intitulé ce billet « organiser le meurtre rituel de son éditeur interne ». Mais en réalité ce serait un leurre, une perte de temps, et mon subconscient me fait savoir qu’il a juste la flemme d’aller tout nu dans les bois avec des bougies pour danser sous la lune. La meilleure solution, bien sûr, c’est de continuer à créer en imaginant l’éditeur interne sous les traits de ce qui reste de Voldemort après un septuple meurtre. J’aimerais bien qu’il existe un rituel spécial pour l’anéantir tout à fait, mais ce n’est pas possible.  

Personnellement, je lutte en utilisant ces quelques leviers basiques : 

> la chimie. Pas la peine d’imaginer des trucs. En gros, je fais du sport et je mange du chocolat, mais tout ce qui générera des endorphines est bon à prendre 😉

> les bonnes habitudes qui permettent de débrancher son cerveau et de noyer l’oiseau de malheur sous des hexatonnes de mots. Avec des endorphines bonus si tout va bien. 

> aller de l’avant. J’essaye de toujours rester en mouvement et de bouger assez vite pour que la pesanteur ne puisse jamais me rattraper. Pour l’instant je n’ai rien trouvé de mieux, mais si je déniche un rituel magique, je vous enverrai un faire-part. 

Pourquoi j’ai écrit ça ? Ça m’aide de lire les blogs des autres auteurs. Je me sens moins seule. Même si je sais qu’à la fin je dois résoudre mes problèmes sans personne pour m’aider, ça m’encourage de savoir que d’autres sont passés par là. Je pars du principe que je ne suis pas un cas unique, donc j’écris aussi ce qui me vient à l’esprit dans l’espoir que ça aidera quelqu’un.