Chaque livre a une histoire. Par exemple, l’idée de Vegas Paranormal est arrivée au café, à l’issue d’un processus plutôt organisé (C.C. Mahon et moi cherchions une ville où implanter un univers d’urban fantasy). Elle n’était pas, en soi, particulièrement révolutionnaire. (Bon, OK, j’admets que l’idée d’écrire dans le même univers était plutôt super.) Ensuite, toutes sortes d’idées connexes se sont greffées sur cette opportunité — elles attendaient une occasion pour se matérialiser. Il n’y a pas vraiment eu juste une “grande idée”, mais plutôt un dialogue constant entre nous et nos imaginations.
Où trouver les idées pour écrire un livre ?
Pendant très longtemps, cette question a été mon grand stress. Puis j’ai progressivement lâché la rampe… et maintenant, les idées d’histoires ne sont plus du tout un sujet de préoccupation pour moi. Voici comment ça s’est résolu.
Je peux vous raconter une histoire d’idée encore plus personnelle ?
J’ai pas d’idée
La première fois que je me suis lancée dans l’écriture d’un roman, c’était en 2006. Je me demandais ce dont j’avais besoin pour écrire un vrai livre. J’avais cru comprendre qu’il me fallait un concept génial et/ou un sujet dont j’éprouverais un besoin viscéral et presque torturant de parler. Je n’avais sous la main ni l’un ni l’autre. J’avais 2 options en tête.
La première piste était tout de même importante. J’avais un embryon d’histoire proche de mon actualité. Je venais de me faire virer d’un journal que je n’aimais pas et qui d’ailleurs ne m’avait jamais vraiment embauchée. La presse n’était pas pour moi, et avant mon aventure journalistique, j’avais travaillé dans un de ces grands cabinets de conseil presse-citron qui vous recrachent un peu désorienté.e.s. On m’avait fait comprendre à plusieurs reprises que c’était mal de s’amuser au travail. Je voulais raconter tout ça. C’était intéressant, mais plutôt déprimant, même en décalant le sujet grâce à la fiction.
J’ai essayé d’écrire, et au bout de 20 pages, j’étais en ruines. La démarche était certainement super mais si je continuais, j’allais me défenestrer du 5e étage : pas génial. Fausse piste.
La proposition B relevait du grand n’importe quoi. Je ne savais pas ce qu’était une idée de livre : je n’avais jamais écrit de livre.
Mais j’avais un personnage, une ado pleine de verve et de fureur, avec un terrible secret. J’avais un univers, outrageusement kitsch, avec des détails WTF, des concepts d’anticipation tellement visionnaires qu’ils en flirtaient avec l’étrange, un mélange d’humour et de noirceur auquel je ne croyais pas trop, tout ça pêle-mêle. C’était quelque chose entre le foisonnement et le chaos.
Je me rappelle que j’ai lu Beginnings, middles and ends de Nancy Kress. En matière de “how to”, j’aurais vraiment pu tomber pire. Celui-ci est bon, de mémoire il dispense des conseils concrets et sensés (pour écrire un livre, il faut un début, un milieu et une fin, c’est plutôt incontestable). Nancy Kress est un vrai auteur qui a du métier et pas un charlatan.
J’ai opté pour une structure arbitraire (alternance des points de vue parce que je venais de lire GRR Martin, un truc obscur mais fascinant intitulé A Game of Thrones, et ça me paraissant une idée amusante).
Et j’ai écrit le machin en peuplant mon univers impossible de détails vivants et de personnages hauts en couleur liés à mon adolescente de départ. Une tante immature qui trempe dans toutes sortes de trafics louches. Des chercheurs trop intelligents qui veulent quitter la planète avant la fin du monde et le type pas assez génial qu’ils essayent de laisser derrière eux (spoiler : il n’est pas vraiment d’accord). Ensuite j’ai essayé d’imaginer à quoi ressemblerait une personne parfaitement adaptée à cet univers bizarre. Puis a débarqué dans tout ça un détective privé allergique à l’eau, parce bon, il faut toujours un détective.
Et ça a marché. L’histoire a pris forme. J’ai fini le livre, et je pense qu’il fonctionne. Aujourd’hui je n’écris plus de la même manière, mais j’aime toujours autant cette histoire.
Conclusion ?
Les idées sont parfois très légèrement surévaluées
Ce livre, Hybris, m’a appris tout ce que j’avais besoin de savoir sur les idées :
1. Elles sont de toutes tailles. Pour faire un roman, il faut des idées grandes et des idées minus. Chaque chapitre est composé de milliers d’idées et surtout de milliers de décisions. Pas 1 seul grand concept mais une multitude, à chaque instant. On peut écrire un livre sans une GRANDE IDÉE (TM).
2. D’ailleurs les idées de livres ne se (TM) pas. On ne peut pas les breveter. Une même idée s’exprime différemment chez deux personnes différentes.
3. Les pépites qui font le chatoiement d’une histoire sont bien souvent générées de manière inconsciente. Les meilleurs rebondissements arrivent sans qu’on les cherche. On peut ajouter une phrase sans même se rendre compte que l’on prend une décision structurante qui va rendre l’histoire captivante. C’est une course folle qui démarre quand on ose entrer en déséquilibre.
4. De toute façon, au niveau le plus concret, les livres ne sont pas faits d’idées ni même de décisions mais de mots. Beaucoup d’apprentis auteurs ont des grandes idées mais pas de mots pour les raconter. En tout cas pas à l’écrit. Dommage. Le plus important pour faire un livre c’est de mettre des phrases; les idées sont un peu secondaires par rapport à la réalité du texte, de l’exécution. Bien sûr, il faut que l’histoire contienne des éléments structurants — des personnages intrigants avec des objectifs, des conflits.
5. C’est en écrivant que l’on apprend à écrire, et que l’on finit par comprendre de quoi on a besoin pour ça. C’est en s’obstinant qu’on devient un écrivain avec un crâne dur comme du béton une boîte à outils pour faire du bon travail.
Amorcer la moulinette à idées
Cependant, la machine à idées peut être entraînée. Voici les approches qui ont marché pour moi.
– La méthode organique : en libérant, littéralement, son imagination. Si vous êtes en panne sèche, rongés par le quotidien, et que vous ne trouvez plus le chemin de la création, essayez Natalie Goldberg (Writing Down the Bones, désolée, j’ai oublié le titre en français). Elle m’a sauvée à plusieurs reprises en m’aidant à réamorcer ma créativité de zéro. Quand je dis zéro, c’est zéro — niveau avancé de lobotomie avec 2 bébés de moins de 2 ans en travaillant à mon compte et en instance de burnout. Natalie est tellement géniale qu’elle peut vous extraire de ce genre de marasme créatif. Julia Cameron (Libérez votre créativité) a aussi détaillé une approche similaire avec son concept de “morning pages” (désolée à nouveau pour l’anglais), mais il y a trop de références au divin dans son livre à mon goût.
– La méthode optimiste que je préfère (approche Shadok / pensée magique) : en écrivant un roman sans avoir d’idée préconçue. Je vous jure que c’est possible. C’est flippant au début, mais on s’habitue. L’idée, et surtout l’histoire, émergent en cours de route.
– La méthode plus ou moins logique et rationnelle : en notant ses idées et en les relisant (ou pas). Ça permet surtout de se rassurer et de rester en contact avec sa créativité au quotidien, en observant les gens dans la rue, en prenant la peine de noter ce que vous inspire un livre ou un film ou une expo. Mais à mon avis, ce n’est pas vraiment la peine de les relire. Les histoires tendent à percoler inconsciemment. L’autre jour j’ai retrouvé dans les profondeurs de mon ordinateur une note de 2009 qui envisageait “des créatures magiques chassées pour leurs organes ou leur fourrure”. Compte tenu du germe de départ, je trouve que je m’en sors plutôt bien avec Sorcières & Chasseurs.
– En piquant sciemment les idées des autres. Pas en plagiant !!! Je note les “tropes” (les modèles) qui me plaisent, ce qui m’attire dans telle ou telle histoire. Pour prendre un exemple cher à mes enfants, le dessin animé Ladybug : deux superhéros qui sauvent Paris au quotidien et se débrouillent pour se créer un triangle amoureux à deux (ah, les identités cachées). Moi, ça m’amuserait de le transposer dans un univers plus sombre et plus adulte (pas trop quand même, il ne faut pas charrier). Ce n’est pas un trope particulièrement original. La moitié des histoires de super héros sont construites sur ce scénario. Tout ce qui fait la différence, la saveur de l’histoire, ce sont les personnages, l’exécution, ce que l’on apporte de soi-même sans même s’en rendre compte. Pour trouver des tropes : tvtropes.org. Ou bien alors juste en ouvrant ses yeux. On les ramasse partout, à la pelle.
Donc tout va bien se passer
En bref : si vous lisez, que vous consommez de la fiction, et que vous en produisez, vous reconnaîtrez que les idées sont partout et vous aurez à tout moment des plot-bunnies qui vous sortent par les oreilles. Et de toute façon, vos obsessions auront raison de vous à la fin. Non, je vous jure, en fait c’est une bonne nouvelle. Ça veut dire que pour écrire, vous n’avez pas besoin d’idées. Vous avez juste besoin d’écrire (une histoire).
Cl #2 : vous aussi ça vous énerve quand vous avez l’impression que les autres artistes s’expriment comme des maîtres zen à la gomme et qu’ils disent peut-être des trucs vrais mais qu’on ne peut pas comprendre avant d’avoir compris ? Désolée. Moi aussi ça me colle le bourdon. Je crois que c’est la nature de la chose. Les problèmes ne se résolvent que dans l’expérience. Alors, à vos stylos !