Si vous écrivez, vous connaissez forcément cet instant magique et fatidique. Parlons-en. ça fait du bien.
Il y a toujours un moment dans l’élaboration d’une histoire où
– Je commence à considérer très sérieusement un changement d’activité. Sérieusement, la création, c’est trop compliqué. Il vaudrait mieux retourner à l’informatique / au journalisme / à l’audit / à la publicité / au conseil / à la plomberie. Qui m’a donné cette idée stupide de vouloir gagner des sommes non toutes nulles d’argent non tout en chocolat, quand tout ce qui sort de mon traitement de texte semble difforme et indigeste, avec des phrases sans queue ni tête, des mots pleins de coquilles etc. ?
– Qu’est-ce qui m’a pris de me lancer dans cette intrigue manifestement absurde, je ne distingue plus le haut du bas. Que faire maintenant ? Où en était on ? Les personnages avaient bien des motivations il y a cinq minutes ? Comment s’appelle l’héroïne déjà ? Où est mon café ? Quelle année sommes-nous ? Qui êtes-vous ?
Pas de panique. Le truc, c’est de respirer profondément et de trouver du chocolat. Si ça vous arrive aussi, c’est normal. C’est pareil pour tout le monde. Ça devient vite une habitude et un sujet de plaisanterie, à part pendant ces cinq minutes qui précèdent la prise de conscience.
Cet état déconcertant correspond généralement à un passage obligé dans l’écriture d’une histoire. Il n’y a pas le choix, il faut le traverser ! Il s’agit peut-être de franchir l’un ou l’autre de ces caps illustres :
– Les 30% hésitants : j’ai eu une idée, j’ai foncé dans le tas, j’ai lancé des hypothèses,des pistes, des personnages, une intrigue, et maintenant… ok, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? En général, c’est un problème de motivation des personnages / de creuset (pour obliger les conflits à se réaliser).
– Les 50% renversants : c’est l’instant du flip-flap-la girafe, mieux connu des manuels d’écriture sous le nom de MIDPOINT DE LA MORT. Celui où les perspectives changent, où les objectifs mutent, où les personnages ont leur moment de révélation, leur échec cuisant, leur point de non retour etc. etc.
En somme, un moment où il paraît plutôt sain de s’arrêter pour prendre une ample respiration, dans la mesure où il correspond à l’édification de cette poutre qui soutient le centre du chapiteau (la magie du cirque étant l’histoire. Ne construisez pas un numéro qui s’écroule sur les spectateurs). Le thème, le sens profond, le conflit fatal sont censés apparaître, et parfois le cerveau droit fait de la rétention d’informations. (ne posez pas la question à votre cerveau gauche, il ne sait pas).
Autre option intéressante également répertoriée, vous êtes peut-être aux prises avec
– Les 70% embarrassants. Vous avez par exemple sauté à pieds joints dans une intrigue du genre policier sans vraiment savoir qui, quoi, quand, pourquoi et avec quelle arme. CE N’EST PAS GRAVE. C’est récupérable. Agatha Christie écrivait comme ça, paraît-il. Le tout, c’est surtout de n’en parler à personne. Tout ce qui vous reste à faire, c’est trouver la sortie, le coupable, le mobile, le crime, la bataille finale et vouala. Quelques efforts plus loin, moyennant une ou deux opérations de retouches rétroactives sur les épisodes qui précèdent, la victoire sera vôtre et vous pourrez faire semblant d’avoir toujours su où vous alliez avec ce truc.
Dans mon expérience, le retour à la santé mentale s’opère toujours selon le même scénario :
– L’épiphanie salvatrice. C’EST UN SIGNE ! Ça résiste, trouvons le point d’inflexion de cette histoire, la décision radicale qui va mettre tous les personnages durablement dans la mouise, etc.
– Le recadrage massif. Je suis prise d’un accès de planification, auquel je consacre entre 1h et 3 semaines. A la fin, la conclusion est toujours la même : je suis sur la bonne voie et il faut avancer. (merci, Raoul).
– Parfois vraiment utile pour ceux qui, comme moi, n’ont pas de mémoire : relire depuis le début et élaborer un résumé a posteriori (à la recherche d’incohérences et de conséquences oubliées)
– Il est ensuite temps de recommencer à écrire. Si tout va bien, ça repart au galop et dans toutes les directions. Je parsème mon texte de notes surlignées en turquoise (toujours en turquoise), des notes que je me destine à moi-même pour plus tard, et, INCROYABLE MAIS VRAI, quand je reviendrai au texte pour le corriger / réviser / le battre jusqu’à ce qu’il rendre dans le rang, IL N’Y AURA PAS LE MOINDRE PASSAGE EN TURQUOISE. Je le sais déjà. C’est bizarre, mais ça arrive à chaque fois.
Moralité : vous n’êtes pas seuls. 1) trouvez le problème. 2) trouvez la solution. 3) arrêtez de réfléchir et écrivez la suite.
alors déjà, merci de le dire. Mon métier est plutôt du genre relou (je rédige des synthèses techniques en informatique, électronique, et tous les trucs relous). J’ai fait de la fiscalité et plein d’autres boulots très, très relou, et rien mais rien n’est aussi complexe que l’écriture d’un roman.
Donc, oui, c’est normal de paniquer parfois.
Perso, je ne suis pas trop d’accord avec la règle des un quart, un demi, un quart, mid point and co. Je salue toujours la performance dans un film quand les persos passent le trou noir pile à la moitié (je chronomètre, pour vrai), mais j’ai cessé de m’en préoccuper en tant qu’auteure. Cela me séchait trop la plume et maltraitait les décisions de mes personnages (surtout en romance, pas de démon qui surgit d’un autre plan astral au bon moment 😉
et même les climax toussa toussa, je suis limite.
Comme tu le dis, tout passe par le creuset des personnages.
Après avoir fait mes fiches personnages, au moment de l’élaboration du plan, je me demande en quoi mes héros doivent changer et quels événements vont les pousser à faire des choix radicaux. Puis je classe par ordre de profondeur ou de violence de sentiment.
le plan vient de là et l’épiphanie aussi.
Lorsque je suis bloquée, et même si je ne suis pas bloquée, avant chaque scène, je fais le point sur la volonté de mes personnages.
– Que ressentent-ils en entrant dans la scène?
– Qu’attendent-ils de la confrontation?
– Quel souvenir émotionnel ce moment éveil en eux?
Si je fais cela pour tous mes persos, en général, je lève un lièvre ou je ne peux plus éviter le mammouth posé sur la table..
Bref 😉 chacun ses méthodes, mais faire une pause, oui, tu as raison, c’est crucial. je dirais même plus: une randonnée en forêt sans son téléphone.
Pourquoi? Parce que les études ont prouvé que l’on avait besoin de se rapprocher des arbres et de fuir les écrans pour retrouver notre créativité.
Alors randonnons! ^-^ bon courage à toi dans tes projets.
C’est ça, déléguons aux arbres le gros de la réflexion. Moi, j’ai exercé tous les jobs de ma liste, à part celui de plombier. et je suis comme toi, je chronomètre les films pour vérifier que tout est d’équerre (ça énerve tout le monde), mais je ne suis pas aussi maniaque dans l’écriture de romans. Je me sers de la structure comme d’une check-list, qui permet parfois d’améliorer le produit. Si je n’arrive pas à la faire fonctionner, je laisse tomber. Mais j’aime bien avoir plusieurs parties dans une histoire, ça me rend mes mammouths de 130 000 mots plus gérables 🙂 Bonne randonnée & bons projets.