Notre temps est compté, nos routes vont se séparer.
À la rentrée de septembre, j’ai repéré de nouveaux venus en ville. Une famille nombreuse avec une tripotée d’enfants blonds : les Konrad. L’aîné de la fratrie, Morgan, est au lycée avec moi. Il est si décalé, ou peut-être si timide, que je me suis d’abord demandé si j’avais affaire à un tueur en série ou carrément à une créature fantastique du style loup-garou ou vampire.
Mais la réalité est bien pire, bien plus terrible que ça.
Morgan Konrad est maudit.
Il ne pourra pas rester, et quand il partira, il laissera un vide béant dans ma vie. Et dans la sienne, aussi.
Mais avant ça, il a une mission à accomplir qui ne va pas me plaire du tout.
*
Le mystère Morgan est le premier tome d’une nouvelle série de fantasy contemporaine young adult avec une louche de magie scientifique et des voyages dans le temps totalement irresponsables. Les abonné.e.s de ma newsletter le recevront en avant-première (et en cadeau) pour Halloween.
CHAPITRE 1
Prologue. Dimanche 31 octobre.
De loin, ça se voit comme le nez au milieu de la figure que la maison est hantée comme pas permis. Cette maison, c’est bien simple, elle a une tête de serial killer, de psychopathe nourri à la bière aqueuse, aux clips vidéo et aux mauvaises chips, et en pleine décompensation mentale. Son teint est crayeux, rapport au fait qu’elle n’a pas connu de ravalement depuis des lustres. Entre leurs colonnes doriques, les fenêtres crevées aux volets démantibulés ont des allures de chicots pourris dans la bouche d’un fou. La vigne vierge qui assaille la façade fait penser à des cheveux sales qui pendraient en mèches molles et trop longues sur les côtés, ajoutant malgré sa beauté à cet air d’abandon qui donne la nausée.
Quant au jardin… c’est quelque chose entre un terrain vague, un stade olympique pour fêlés suicidaires, un cimetière pour déchets embarrassants (ceux que personne ne sait où jeter) et une ZESC — une Zone d’Échanges Super Chelous. C’est là que mon cousin Boris a acheté la tortue des Galapagos transgénique qui l’a fait virer du collège pendant une semaine en avril dernier, par exemple. Je vois bien que vous pensiez direct à la drogue et au porno bizarre, mais en fait, vos imaginations sont limitées. Quand il s’agit de la maison Mitchell, pour bien comprendre le concept, il faut vraiment ouvrir ses chakras. Ici, c’est de notoriété publique au lycée, il peut se passer tout et n’importe quoi.
Vous visualisez à présent une cour des miracles, un lieu qui grouille de trafics interlopes, mais il y a des soirs, comme aujourd’hui, où pas un bruit ne vient secouer tout ce mauvais mojo. C’est à cause du brouillard. Il s’accroche aux vieux cèdres gigantesques, aux statues de pierre taguées, au cadavre de 4L aux sièges couverts de vieux préservatifs et de crottes de rongeurs (sérieusement : qui vient baiser là ??). Il s’agrippe à mes longs cheveux détachés, qui étaient secs après ma douche de tout à l’heure, mais sont redevenus humides, lourds et froids, comme si entretemps je m’étais noyée et que j’étais morte sans même m’en rendre compte.
La brume absorbe aussi les sons, le bruit de mes pas sur le trottoir envahi de mauvaises herbes, et fait main basse sur la vapeur de ma respiration qui se condense en nuages opaques. À la rigueur, elle voudrait prendre ma vapeur jusque dans mes poumons, et il faut quasiment que je m’accroche à mon air pour finir de le respirer tranquille.
Le premier souvenir que j’ai de cette maison, avant même ma première expédition pour venir l’admirer et la craindre de loin, c’est dans les histoires de mon Grand-père que je me le suis construit.
— Il y a eu une famille à un moment, avait-il coutume de dire avant que toute cette histoire ne commence.
Comme si ça lui revenait par bribes, comme si sa mémoire était un vieux fleuve boueux qu’il fallait draguer pour y repêcher des morceaux de vérité échappés à quelque naufrage.
— Les Mitchell, poursuivait-il invariablement, et le nom du clan avait presque valeur d’incantation. Une grande famille avec des mignons petits enfants blonds et un gros chien ! La benjamine était dans la classe de ton grand-oncle Pierre.
Comme mon grand-oncle Pierre était mort depuis longtemps, je ne pouvais pas aller le voir pour confirmer l’information.
— Le chien, ils ne l’ont eu que pendant une semaine. Il était enragé, il a mordu la nounou des enfants et elle est morte après avoir mordu tous les mômes. La gamine a attaqué sa mère et avant qu’ils s’en rendent compte, ils étaient tous morts de la rage, sauf le père, et, curieusement, la bonne.
Mon grand-père, Joseph, est comme ça. S’il peut te sortir tous les détails gore sur un truc, il le fait, il le fait avec délectation. Il a une mémoire spéciale pour ces choses-là, une case ad hoc dans son cerveau qui décélère beaucoup moins vite que les autres. Je crois que je tiens pas mal de lui, en fait. Je n’ai pas hérité de lui que son prénom (je m’appelle Joséphine).
Toujours est-il que la maison Mitchell réalise le tiercé gagnant : sale histoire, sale ambiance, sales fréquentations. En temps normal, les personnes saines d’esprit ne s’approchent déjà pas trop de cet endroit. Alors, une nuit du 31 octobre, avec la pleine lune suspendue comme un lustre méduse trop gros au-dessus du toit pourri, il faut vraiment être pas net.te pour se glisser entre les battants de la grille de fer forgé rouillée. Ou alors, il faut avoir une sacrée bonne raison de le faire.
Le gravier crisse sous les semelles de mes grosses boots à fleurs. J’aime bien ces pompes. De un, elles sont ultra confortables. De deux, tu peux y aller, le coup de tatane est quasi létal avec ces trucs : il y a des fers. Et elles font joli avec ma minijupe. Porter une jupe courte était crucial ce soir. En minijupe, tu as l’air innocent, mais tu cours vite. C’est sûr que là, j’ai un peu froid localement, même avec mes collants opaques, mais je compense avec le bomber fourré que m’a prêté Sélim, avec la curiosité teintée de peur qui me fracasse les côtes à quatre-vingt-dix battements par minute.
CHAPITRE 2
La première fois que j’ai croisé les Konrad, c’était au supermarché, la semaine qui précédait la rentrée de septembre. Le bruit courait depuis deux jours qu’une famille s’était installée en ville à la fin de l’été, qu’ils étaient mystérieux et fascinants.
Je les ai repérés immédiatement dans les allées. La mère, très blonde, les yeux très bleus, mince et élégante comme le sont certaines mères de familles nombreuses, dans ses jeans blancs et ses tuniques brodées, lunettes de soleil fichées sur le dessus de la tête, l’air pâle et déterminé. Deux blondinets en culottes courtes accrochés à ses basques, elle poussait un caddie rempli d’une quantité invraisemblable de nourriture, de quoi alimenter une tribu entière de viandards : rosbifs, patates, biftecks par caissettes et cagettes entières. J’en ai presque hésité à lui dire que c’était mauvais pour la planète, qu’elle devrait explorer des sources alternatives de protéines et se calmer sur les emballages plastiques.
Moi, j’étais avec Sélim, on était venus acheter des munitions pour la soirée chez Violette, parce que dans ce supermarché, le caissier s’en balec qu’on n’ait pas dix-huit ans. On était chargés d’acheter du rhum, et Sélim voulait aussi faire une pizza maison, avec la pâte, en partant de zéro. Il est comme ça, Sélim, trop sophistiqué pour notre monde de mous du genou. On est donc restés plus longtemps que d’habitude, à louvoyer entre les rayons pour réunir les ingrédients de sa recette. De loin en loin, la famille de blondinets réapparaissait, toujours plus nombreuse. En plus des maternelles en culottes courtes, il y avait des gosses de primaire, une fille de CP-CE1 et un garçon de CM1 en shorts et T-shirts. Ils partaient en chasse et revenaient au caddie familial avec leur butin, des tonnes de beurre, des paquets de pâtes géants en promotion, des plaquettes de chocolat par lot de cinq, etc.
Sélim et moi, on les regardait faire, fascinés par le miracle de l’organisation qui faisait tenir dans un seul caddie de quoi survivre, probablement, à un siège de la guerre de Cent Ans. Il est possible que Sélim ait insisté pour prendre de l’origan, juste histoire d’observer un peu plus longtemps la famille nombreuse de blondinets. Il faut dire qu’ils avaient tous l’air de petits anges, à cause de leurs cheveux blond-blanc, de leurs yeux clairs, de leurs bouches en cœur et de la grâce agile avec laquelle ils charriaient toutes ces boîtes de petits pois.
— Tu crois qu’ils tiennent combien de temps avec tout ça ? a demandé Sélim.
J’ai essayé de faire le calcul, de diviser par les besoins caloriques de mes gramps qui mangent une demi-crème de gruyère par jour, de ma mère qui est au régime rosé-salade, de mon petit frère qui n’aime que le concombre et le saucisson.
— Aucune idée, ai-je dit en suivant des yeux le ballet complexe de leurs approvisionnements.
On est passés à la caisse en même temps qu’eux, mais on les a distanciés, bien sûr. On est sortis sur le parking pour récupérer le scooter de Sélim et c’est là qu’on l’a vu, lui.
Il était appuyé contre la carrosserie d’un break familial géant et même sans cet accessoire significatif, ça sautait aux yeux qu’il faisait partie de la même tribu qui était restée à l’intérieur du supermarché. Il avait les mêmes cheveux blonds qui commençaient à cendrer un peu, les mêmes yeux bleus, la même bouche qui leur donnait à tous cet air boudeur et intense.
Je lui ai donné notre âge et j’ai fait tout mon possible pour ne pas le fixer des yeux. C’était difficile et Sélim ne m’aidait pas.
— Tiens, a-t-il fait remarquer, il y en a un autre là-bas.
J’ai juste hoché la tête, levé une dernière fois les yeux vers le type, et croisé son regard. Il a soutenu le mien pendant un instant sans se départir de son air pensif et sérieux. J’ai rompu le contact en premier.
Ce soir-là, la pizza de Sélim était très bonne et bien sûr, l’anecdote du supermarché a fait fureur. C’est comme ça qu’on en a appris un peu plus sur les Konrad. Le père reprenait le cabinet médical du vieux docteur Vérust en instance de retraite.
CHAPITRE 3
Le lundi suivant, c’était la rentrée des classes, et dès onze heures tout le monde au lycée ne parlait déjà que de lui — Morgan Konrad. Il était en terminale, comme moi, mais pas dans la même classe. Un groupe de filles l’avait croisé à la piscine municipale la veille et le résultat de toute conversation à ce sujet était un bruyant concert de gloussements. Il n’y avait qu’à appuyer sur un bouton. J’ai soigneusement évité de me joindre aux potins. Ça m’a toujours mise un peu mal à l’aise, mais cette fois, je ne sais pas pourquoi, ça ne passait pas.
Le même soir, je suis tombée nez à nez avec Morgan en quittant les vestiaires du gymnase. Je sortais de l’entraînement de handball qui venait de reprendre et l’entraîneur nous avait fait le coup habituel de « je t’achève dès la rentrée pour que tu te tiennes bien à carreau. » J’étais rouge comme une pivoine, les cheveux mouillés et emmêlés parce que j’avais oublié de prendre ma brosse, en nage deux minutes après la douche, et déjà en retard pour donner son petit cours à Léo Nucingem. Fabienne, sa mère, m’avait dit, « on commence dès le lundi de rentrée, tu le marques à la culotte, je veux qu’il passe en quatrième, c’est compris ? »
Bref, je courais tout en réagençant les trucs dans mon sac qui débordait, et je ne vous fais pas le cliché de la meuf qui percute le beau gosse, mais j’ai quand même failli me le payer de front. Je l’ai évité de justesse et j’ai poussé un gros juron fleuri.
— Salut, a dit Morgan Konrad.
— Salut.
— Tu ne devrais pas traîner aussi tard toute seule dans les couloirs déserts, a-t-il ajouté.
Ce n’était pas un conseil ou une manière pourrie d’entamer la conversation. C’était quasiment un ordre, et s’il y a un truc à savoir sur moi c’est que les ordres ne marchent pas des masses.
J’ai donc roulé des yeux exaspérés en me remettant en marche pour le contourner. Le type m’a laissée passer et il s’est mis à m’accompagner, à m’escorter vers la sortie.
— Comment tu t’appelles ? a-t-il voulu savoir.
— Joséphine.
— Où est-ce que tu habites ?
Comme si j’allais lui dire. Bien sûr, je n’ai pas répondu.
— Moi, c’est Morgan, a-t-il dit après un instant de marche rapide et silencieuse.
Il était d’une nullité abyssale en conversation. Du coup, j’ai senti s’élever en moi un instinct charitable qui aurait vraiment mieux fait de s’écraser.
— Tu es nouveau, non ?
Il n’a pas fait le moindre effort pour saisir mon appel du pied. Il a juste constaté :
— Oui.
— Et… tu te plais à Rébéville ? lui ai-je demandé.
J’ai cru qu’il allait laisser la question sans réponse tellement il a mis longtemps à réagir. Pour moi, ça ne requérait pas vraiment de réflexion approfondie, c’était de la causette de base. Du coup j’ai presque sursauté quand il a dit :
— J’aime bien la région et les habitants ont l’air sympas. C’est agréable de courir dans les champs et dans les forêts du coin.
Il avait injecté un tel poids derrière chacun de ses mots que ça donnait l’impression d’un sens caché, d’un message à découvrir.
Il était carrément bizarre.
— Et ça va, ici au lycée ? ai-je demandé.
J’étais soudain prise d’une inexplicable sollicitude. Les gens peuvent être plutôt lourdingues avec les petits nouveaux. Surtout les filles. Quand elles se rendraient compte à quel point il était maladroit, elles allaient le détruire, socialement parlant.
— Non, a-t-il dit. Non, ça va. J’aime bien les filles.
Sur un ton incertain qui laissait planer un genre d’ambiguïté, du style, oui, j’aime bien les filles, surtout à la vanille ou bien alors grillées au barbecue avec une pincée de sel.
J’ai décidé qu’il me faisait flipper, que c’était probablement un psychopathe en gestation, et j’ai appliqué un truc vieux comme le monde. On arrivait à la sortie du lycée, Dieu soit loué. J’ai enfoncé les portes battantes et je me suis arrêtée en haut des marches.
— Bon, c’était cool de parler avec toi. Où est-ce que tu vas ?
Il a hésité, puis indiqué la gauche, dans la direction de la maison des Nucingem où je devais moi-même me rendre en quatrième vitesse.
Zut.
J’ai pointé vers la droite et j’ai annoncé :
— Moi, je vais par là. On se revoit tantôt au lycée. Salut, hein !
Et je n’ai pas bougé avant qu’il bifurque dans la direction qu’il avait choisie.
— Salut, a-t-il dit sur un ton hésitant, avant de se mettre en route, bien obligé de faire ce qu’il avait dit.
Dès qu’il est parti vers la gauche, j’ai pris mes jambes à mon cou. J’ai fait un détour de fou pour arriver chez les Nucingem et d’ailleurs, Fabienne m’a remonté les bretelles quand je suis arrivée en retard. Elle a déduit dix pour cent de mon fric alors que le petit Léo était, à son habitude, intenable.
CHAPITRE 4
À partir de là, coïncidence ou pas ? J’ai commencé à trouver des « cadeaux » dans mon casier. Je ne pourrais pas affirmer avec certitude qui les plaçait là. Seulement, leur provenance — invariablement la nature autour de la ville — et leur côté un peu brut de décoffrage me ramenaient toujours à cette première conversation laconique et déroutante.
Au début c’était des petites fleurs, des restes charmants de l’été. Trois fois rien, un coquelicot déjà presque cuit par la chaleur, quelques pétales de tournesol, un reste de digitale cueilli trop court, un bouquet basique, certaines fleurs arrachées presque sans tige, d’autres carrément avec la racine, comme si un chien avait ramené tout ça dans sa gueule. Au début j’ai fait semblant de ne pas les voir, de les faire gicler de là comme si s’il s’était agi de poussières. Puis c’est devenu plus technique, parce que les petits cadeaux ont pris de l’ampleur.
Une grappe de raisin mûr, encore bleue de sulfate, clairement chipée dans un champ. Une pomme à la forme improbable, avec quelques locataires-vers. Une poire partiellement écrasée et dont le jus avait coulé dans mon livre de français. Et puis, un jour de pluie, il y a eu cet énorme champignon.
Celui-là, Sélim l’a vu. Il faut dire qu’il était difficile à louper. J’ai ouvert mon casier pour prendre mon manuel de maths et j’ai eu un sursaut de surprise en découvrant le monstre. Je me suis vite ressaisie, et ensuite j’ai dû répondre aux questions de Sélim.
— Jo. C’est quoi ce truc ?
Je me suis tournée vers mon pote et j’ai opté pour une énonciation calme de faits avérés.
— C’est un cèpe.
— Il est maous.
— Ouais. Je dirais un petit kilo. On n’en voit pas souvent d’aussi gros. Il faut dire qu’il a beaucoup plu ces derniers temps.
— Et… tu comptes en faire quoi ?
J’ai plissé les yeux.
— Probablement une omelette empoisonnée. Pourquoi ?
Il a cligné des yeux rapidement.
— Je peux venir ? J’adore l’omelette aux champis. Je peux la préparer ?
— Bah oui. Si tu veux. Ce soir. Chez moi.
Moi aussi j’aime bien l’omelette aux cèpes, et quand c’est Sélim qui cuisine… j’aurais eu tort de refuser.
Le soir même on a fait une omelette aux cèpes géante, on a dû racheter deux douzaines d’œufs rien que pour rétablir une sorte d’équilibre. C’était d’enfer. Je l’ai mangée en me demandant pourquoi tous ces cadeaux atterrissaient dans mon casier, et si j’avais commis une boulette en partageant celui-ci avec ma famille et mes amis. En même temps, qu’est-ce que j’étais censée faire ?
Le lendemain, nichés contre mon classeur de français et couverts de duvet, il y avait des œufs. Des œufs d’oiseaux qui n’étaient pas des poules ni des cailles — des œufs non identifiés. Pris dans un nid. Apportés sans emballage. Des œufs.
Je les ai laissés là toute la journée — je n’avais rien pour les transporter. Après les cours, j’ai tenté de les rapatrier à la maison dans mon pull, et j’en ai éclaté deux.
J’ai rangé le reste dans le réfrigérateur et je suis montée direct dans la chambre que je partage avec Frédéric, mon petit frère. J’ai sorti une fiche bristol du tiroir de mon bureau, et j’ai rédigé un message à mon bienfaiteur anonyme.
Salut, je ne sais pas qui tu es, ni pourquoi tu déposes des trucs dans mon casier. Je suis très touchée, mais est-ce que tu pourrais arrêter maintenant ? Si tu as un truc à me dire, viens me le dire en face.
J’ai signé, Joséphine, et le lendemain matin, j’ai mis le mot dans mon casier, qui contenait cette fois un cadavre de lézard. Très clairement, la plaisanterie était allée trop loin. J’ai enveloppé le petit cadavre dans une copie double et je l’ai jeté dans la poubelle la plus proche. En regardant autour de moi, j’ai vu Morgan Konrad se détourner, et j’aurais pu jurer qu’il me surveillait.
Je vous fiche mon billet que c’était lui, le mystérieux donateur de trophées douteux.
Le lendemain matin, mon mot avait disparu et il n’y avait pas de nouveau « cadeau ». Pas de cadavre de souris, pas de poire écrasée, pas de pelote de chouette pleine d’os minuscules.
Pour une fois, mon casier était vierge de toute intrusion naturelle, et j’ai respiré plus à mon aise.
Au cours des semaines qui ont suivi, je n’ai plus rien trouvé dans mon casier. J’ai gardé le petit pic d’appréhension au moment de l’ouvrir, mais le chasseur invisible a respecté mon souhait.
En revanche, quelqu’un s’est mis à me suivre lors de tous mes déplacements à travers la ville, en particulier à la nuit tombée. Une sorte de sixième sens m’en a avertie, lorsque je quittais la maison à sept heures trente pour un cours matinal, ou lorsque je sortais de chez les Nucingem après la tombée de la nuit.
J’ai emprunté des itinéraires de plus en plus abracadabrants pour essayer de coincer la personne qui me prenait en filature. Mais j’avais beau faire volte-face, faire demi-tour en courant, me planquer à un coin de rue ou bien à l’inverse tenter de prendre l’intrus à rebrousse-poil, je n’ai jamais réussi à le coincer.
Une fois, une seule, je crois que j’ai failli y parvenir. En passant devant le jardin des Barouet, j’ai plongé dans leur haie de thuyas, en m’égratignant copieusement. J’ai parcouru le jardin en courant tête basse pour revenir sur mes pas, puis j’ai traversé la haie de l’autre côté afin de regagner le trottoir. Et là, devant moi, je l’ai vu un instant se retourner sur lui-même, jeter un coup d’œil dans le jardin des Barouet par-dessus la haie, hésiter, puis disparaître au coin de la rue.
J’ai aperçu une silhouette rapide, un éclat de blondeur. CQFD.
Mais quand j’ai essayé de lui courir après pour lui dire ses quatre vérités, il avait disparu.
La suite le 31/10… ou un peu plus tôt pour les abonné.e.s de ma newsletter