Improviser ses histoires

Le principal, c’est de trouver son chemin.

Certain.e.s romancier.e.s écrivent d’après un plan plus ou moins détaillé, d’autres partent avec presque rien et improvisent. C. C. Mahon fait des plans. Personnellement, j’ai tendance à voyager léger. À chacun son mode de fonctionnement idéal, tous les processus créatifs sont différents ! Et le débat “plotters vs pantsers” est un faux clivage.
Quand on débute, et longtemps après, on a parfois besoin d’entendre comment les autres s’y prennent : pour se sentir moins seul.e, pour se déculpabiliser, pour lever un blocage. Tout est possible et il n’y a pas de mauvais fonctionnement. Voici le mien, juste un exemple parmi d’autres.

J’écris en improvisant largement mes scénarios et leurs rebondissements. Je suis une “pantser”, une jardinière, une « discovery writer ». J’ai dévoré beaucoup de manuels et je suis capable de construire un plan, de pitcher, de lire une structure narrative. Mais je préfère générer des histoires de manière organique.

Je peux attaquer une histoire sur une première phrase, mais en général je démarre avec une image, qui est rarement l’image d’ouverture. Il s’agit plutôt en général d’une situation complexe qui m’intrigue, et je ne sais pas comment les choses pourraient en arriver là, ni qui serait susceptible de se mettre dans une configuration pareille. Les personnages suivent presque immédiatement. Dans l’énergie des premières lignes, je trouve leur voix et leur motivation. Puis je vois apparaître le conflit qui détonnera mon scénario.

Structure narrative

J’ai plus ou moins intégré quelques notions basiques de structure narrative. À force de consommer des histoires par la lecture, le cinéma, la télévision, on finit par s’imprégner de ces motifs qui se retrouvent dans l’essentiel de la littérature de genre (cf Le voyage du héros, Save the cat etc.) et que les lecteurs attendent sans le savoir.

Mon cerveau calcule et calibre tout cela sans que j’aie à m’en occuper consciemment. Il décide en tâche de fond que j’écris un livre de 200 pages et il plante un point de non retour à la page 50, un retournement de situation majeur autour de la page 100, une crise vers la page 150 qui aboutit à une remise en question majeure et à un face-à-face avec la mort (littérale ou symbolique). C’est bien pratique, et tout à fait involontaire.

Si j’essayais de créer cette structure de manière raisonnée, en employant mon esprit analytique, ce serait 1) très fatigant et 2) pas forcément aussi créatif. Sans compter que 3) mon imagination tend à fournir ces points d’inflexion d’elle-même, donc si je prévois autre chose en plus, je me retrouve avec deux histoires superposées, une franken-histoire un peu maladroite. Et 4) j’adore être surprise par ma propre histoire, je trouve cela amusant et magique, un peu comme un matin de Noël.

Angoisse de la page blanche

Ça ne m’arrive pas vraiment, même si je ne sais pas ce qui va se produire dans le chapitre suivant. Quand je reste bloquée, je relis ce que j’ai écrit. Je vais faire un tour, et en général c’est suffisant. Si ce n’est pas le cas, je laisse passer la nuit. Je vais voir des amis ou un film ou une exposition. Je me concentre sur autre chose pour laisser le temps à mon subconscient de se faire une opinion (à mon insu, comme d’habitude).

Le plus souvent, quand je suis lassée de moi-même et de mon inaction, je me replonge dans l’histoire, et je me contente d’écrire la suite. Pour vous donner un exemple, un rebondissement majeur survient à peu près au milieu de Un pour taper sur l’autre, dans une salle de spectacle. Une chose se produit qui donne un sens au comportement étrange d’un personnage et qui détermine, au fond, toute l’histoire. Cet événement m’a surprise moi-même, je ne m’y attendais pas du tout. Rétrospectivement, il y avait des indices dans le début du texte, mon subconscient avait déjà planté tout ce qu’il fallait, mais moi, je ne savais pas.

Réécriture

Mes premiers livres, pratiquement tous ceux que j’ai écrits entre 2007 et 2015 (une bonne demi-douzaine), ont échoué dans la phase de réécriture. Rétrospectivement, je pense qu’ils sont morts par manque de confiance. Au lieu d’écouter mon intuition, j’essayais de plaquer sur mes histoires une structure logique qui ne leur convenait pas.

Maintenant, je vois l’écriture comme une forme de découverte archéologique. L’histoire existe déjà et je suis là pour la découvrir. Parfois c’est au burin, et parfois au pinceau. Je laisse mon imagination concevoir, et moi, j’exécute de mon mieux. Quand j’ai mal écouté et que je me suis fourvoyée, je recommence. Ce n’est pas grave.

Chacun fait, fait, fait…

Je ne cherche pas à vous donner envie d’improviser absolument si ce n’est pas votre truc, après tout, chacun sa méthode, vous faites comme vous voulez. Cela fonctionne pour moi, et sachez juste que si vous êtes comme moi, vous avez le droit. Vous avez même le droit d’essayer et de vous faire votre propre opinion et de changer d’avis. Parfois, je fais des plans (et j’arrive immanquablement à la conclusion que c’était inutile / une erreur).

De toute façon, il n’y a que le résultat qui compte. Quand vous aurez terminé votre texte, personne ne sera pas quel chemin vous êtes passés (sans doute même pas vous).

Qui d’autre écrit à travers champs ?

 

Ressources
Dean Wesley Smith, Writing into the dark (encore en anglais. Désolée. mais une super référence pour ceux que ça intéresse).